Le Patron

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«On fait du théâtre parce qu’on a l’impression de n’avoir jamais été soi-même et qu’enfin on va pouvoir l’être.»
Louis Jouvet

Surnommé “Le Patron”, Jouvet était un comédien et un metteur en scène passionné qui recherchait avant tout la vérité dans le jeu et le théâtre. Il était bègue et pour devenir l’acteur que l’on connaît, il a développé cette diction parfaite et ce phrasé syncopé, souvent imités mais jamais retrouvés, qui l’ont rendu célèbre. Et sa voix grave et pénétrante, d’une texture irremplaçable, travaillée avec une précision extrême, imprégnait les mots avec une évidence telle qu’il était ensuite difficile de les entendre dire par une autre voix. Bien qu’il fut un acteur de cinéma réticent – il préférait le théâtre- c’est grâce à ses films que j’ai eu la joie de le connaitre.

Je l’ai vu jouer dans “Quai des Orfèvres” de Clouzot. Il y tenait le rôle de l’inspecteur Antoine, un policier perspicace et désabusé qui avait appris la comptabilité avec un escroc, la gravure avec un faussaire “et il y a même un danseur mondain qui a voulu m’apprendre le tango, mais je n’étais pas doué“.
Ce plaisir en appellait d’autres et je me mis à la recherche de tous les films disponibles: “Topaze“, “Drôle de Drame“, “Le Corbeau“. Et quel bonheur cet été, de découvrir un cd d’un “Hommage à Jouvet” qui incorporait ses textes de théâtre. Quelle jouissance d’entendre Jouvet jouer Molière, Giraudoux -son auteur fétiche- et Emile Mazaud dans ce texte extraordinaire “La folle journée”, dont l’édition est épuisée, mais que je recherche encore en espérant un miracle.

Jouvet souffrit toute sa vie. On le sentait souvent seul, bien qu’il fut entouré d’affections les plus fidèles et les plus exceptionnellement dévouées. Il était jaloux, il s’imaginait qu’on le trompait, qu’on le trahissait, qu’on l’abandonnait. Ses critiques étaient affectives, brutales, mais elles avaient toujours l’accent de l’amour blessé, aussi les comprenait-on, aussi étaient-elles pour nous des critiques fécondes. C’est que, au fond de lui, il y eut toujours un enfant persistant et je crois bien que cet enfant, que Jouvet était resté, vécut presque toute sa vie dans la peur. La peur est un sentiment très valable. Plus on est sensible et intelligent, plus on pénètre dans l’obscurité des choses, et plus il est normal d’avoir peur. Jouvet vécut dans la peur de la mort comme dans la peur de se tromper. Et quel courage il faut, et quelle passion aussi, pour s’obstiner à s’exposer, alors que, par sensibilité exceptionnelle, on vit constamment dans la peur. C’est cette peur, ce doute, cette inquiétude qui consumèrent Jouvet.
Hommage de Jean-Louis Barrault



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