Manger la vie…

dumas2 “Ma foi, si je n’avais pas été là, je me serais bien ennuyé!”
C’est par pure humanité que j’ai plusieurs maîtresses à la fois. Si je n’en avais qu’une, la pauvre serait morte d’épuisement au bout de huit jours!”

“Laissez-les me jeter la pierre. Les tas de pierres, c’est le commencement du piédestal.”
Alexandre Dumas

D’Artagnan entre à Paris – qui ne l’a lu?- sur un vieux cheval jaune et l’épée à la ceinture. Un peu moins de deux siècles plus tard, Alexandre Dumas y pénètre lui, en croupe d’un ami, armé d’un fusil de chasse et porteur de quelques pièces de gibier en guise de pécule. Il a vingt ans lui aussi…

Jean Lacouture

Généreux et imprévisible, l’immortel auteur des Trois mousquetaires et du Comte de Monte-Cristo, le romancier français le plus lu au monde, défie tous les conformismes de son époque par sa démesure et sa candeur. L’homme est tout en bravoure, payant de sa personne, se battant en duel pour un oui, pour un non, mais il est aussi un bon vivant invétéré, et un auteur qui n’arrête jamais d’écrire. Il déborde d’énergie, accroché le soir à sa table de travail mais le jour, il papillonne d’un salon à l’autre, infidèle aux femmes qu’il aime, multipliant derrière lui les enfants dont le plus célèbre sera Alexandre Dumas fils, l’auteur de La Dame aux camélias.
Poésie, nouvelles, romans, ouvrages historiques, récits de voyage, théâtre, Alexandre Dumas a tout écrit et tout vécu, refusant de sacrifier l’œuvre à la vie. Il ne passe pas inaperçu en ces années 1820 dans les salons parisiens et fréquente le beau monde qu’il charme par son esprit. Les femmes ? La liste n’en finit pas. Les amis ? À moins de trente ans, il connaît toutes les célébrités de son temps : Hugo, Balzac, Nerval, Liszt, George Sand, Marie Dorval, Chateaubriand…

Dumas, Hugo, George Sand, Litz, Marie Dorval..et amis

Il y a en ce jouisseur, un appétit de la vie qu’il manifeste en toutes circonstances. Sa vie justement ! Aussi romanesque que ses propres œuvres. Jamais, tout au long de celle ci, il ne s’accommodera d’une position sociale avantageuse, d’un flatteux éloge du pouvoir qui pourrait lui ôter sa liberté. Pour lui, les sommets de la gloire ne comporteront d’autres avantages que d’être reçu en prince dans les auberges les plus modestes et d’approcher les plus belles femmes dans les cours de l’Europe entière.

Vingt-sept ans. Dumas à Paris.Fils de mulâtre, Alexandre Dumas affronte les regards d’une société française qui demeure encore une société de castes. Elle lui fera grief de tout : sa folle prodigalité, son teint brun, sa broussaille de cheveux crépus, ses yeux bleus saphir…

Lettre de félicitations du général Jourdan au général Dumas à l’occasion de la naissance de son fils Alexandre.
Mais Dumas lui-même, fier de sa lignée, écrivit un jour :
Lorsque j’ai découvert que j’étais noir, je me suis déterminé à ce que l’homme voie en-dessous de ma peau”.

Le vaillant général Dumas
Fils d’un général de Bonaparte, lui-même fils d’un riche colon de Saint-Domingue et d’une esclave noire, Alexandre Dumas appartient à cette génération de romantiques très impliqués dans leur siècle et hostiles à toute forme de monarchie. On le verra durant la révolution de 1830 dans les rangs républicains et sur les barricades avec les insurgés les plus extrémistes. Il se présentera même, mais sans succès, aux élections en 1848. Jusqu’au bout, il sera avide de se dépenser sans frein pour les causes qui le remuent. L’amour de la liberté l’habite et l’entraîne, au début des années 1860, à Naples et en Sicile, sur les pas de Garibaldi, le condottiere de l’Unité italienne, qu’il approvisionne en armes et avec lequel il fonde le journal des Chemises rouges. Mais il est prodigue aussi dans ses plaisirs. Dans le château de Monte-Cristo, une extravagante bâtisse à l’intérieur mauresque qu’il s’est fait construire près de Paris, il organise des festins, des divertissements et des bals masqués . Ses initiales trônent sur les tourelles soulignant sa devise: “J’aime qui m’aime”. Il ne l’habite que deux ou trois ans, avant que ses créanciers ne le fassent saisir et que lui-même ne s’exile à Bruxelles.


Le chateau de Dumas: Monte-Cristo

Dumas ne donne jamais dans la demi-mesure, il lui faut tout dans l’instant, à tel point qu’il ne comprend pas qu’on puisse ne pas goûter aux mêmes plats au fin fond de la Tchétchénie où il débarque , entouré de ses chiens et de ses maîtresses, qu’à Paris. Il écrira même un dictionnaire de cuisine, fort de son expérience aux fourneaux et d’un appétit à toute épreuve.

Et son œuvre est là, au milieu d’activités aussi envahissantes! Le produit d’un travailleur acharné, capable d’enfiler plusieurs intrigues à la fois dans une trame et d’écrire à n’en plus finir pour rattraper le temps passé à s’occuper de jolies femmes. On reste confondu par cette facilité d’entreprendre presque en même temps, Le Comte de Monte-Cristo et Les Trois Mousquetaires, La Reine Margot et Vingt ans après, Le Collier de la Reine, Joseph Balsamo et La Dame de Monsoreau, La Comtesse de Charny et Le Vicomte de Bragelone, des romans parus en feuilleton dans des journaux et qu’il va adapter au théâtre. Car Dumas est d’abord un auteur de théâtre. C’est sa pièce Henri III et sa cour qui le propulse à vingt-sept ans sur le devant de la scène littéraire, un an avant la fameuse bataille d’Hernani de Hugo. Et c’est encore par les planches qu’il assure son succès plus tard, avec Antony et La Tour de Nesle. Il n’est donc pas étonnant que les dialogues de ses romans s’apparentent à des répliques de théâtre. Ils en ont la vivacité à défaut d’une tenue littéraire qui n’est pas toujours irréprochable. Pour qui admire Flaubert, il en est l’antithèse, ce feuilletoniste qui achève trente romans pendant le temps que mettait l’auteur de Madame Bovary à terminer cette seule œuvre. Mais Dumas, à sa décharge, avait-il le temps de peaufiner ses textes ? Pour régler des dettes jamais épongées et des faillites retentissantes, il était tenu, tout comme Balzac, d’écrire aussi vite que possible pour assurer le rythme quotidien de feuilletons payés trois francs la ligne et courir après un argent qu’il dépensait aussitôt gagné. Certains de ses contemporains iront même jusqu’à lui contester la paternité de cette oeuvre étourdissante et son inépuisable fécondité littéraire qui tient du prodige, mais ce n’est un secret pour personne qu’il avait recours aux services d’un ou de plusieurs collaborateurs dont le plus connu était Auguste Maquet.

«Ce sont les hommes, affirme Dumas, et non pas l’homme qui inventent. Chacun arrive à son tour et à son heure, s’empare des choses connues de ses pères, les met en œuvre par des combinaisons nouvelles puis meurt après avoir ajouté quelques parcelles à la somme des connaissances humaines. C’est ce qui faisait dire à Shakespeare, lorsqu’un critique stupide l’accusait d’avoir pris parfois une scène tout entière dans quelques auteurs contemporains : c’est une fille que j’ai tirée de la mauvaise société pour la faire entrer dans la bonne. C’est ce qui faisait dire encore plus à Molière : je prends mon bien où je le trouve. Et Shakespeare et Molière avaient raison, car l’homme de génie ne vole pas, il conquiert.»
À la fin de sa vie, sa «gloire» ne faisant plus recette, il court le cachet en donnant des conférences à Paris et en province, tentant vainement de remettre de l’ordre dans ses affaires en devenant un grand entrepreneur de presse. Il lançe son journal, Le Mousquetaire, mais il est accablé de procès et de désillusions. Les toutes dernières et si tristes années de sa vieillesse sont adoucies par le dévouement de sa fille, Mme Petel, et par la sollicitude de son fils Alexandre qui finit par pourvoir à tous les besoins de sa vie matérielle. Malade, il s’éteint le 5 décembre 1870.

En 2002, l’ année du bicentenaire de sa naissance, les cendres du plus populaire des écrivains romantiques furent transférées au Panthéon. En reconnaissant sa place à l’un de ses enfants les plus turbulents et les plus talentueux, à l’un de ses génies les plus féconds, la France par ce geste, rendait un hommage national à Alexandre Dumas, réparant une injustice à l’égard de ce descendant d’une esclave de Saint-Domingue moqué pour la couleur de sa peau et aussi de ce géant de la littérature, à l’oeuvre longtemps dédaignée par des critiques et des auteurs jaloux.

Confronté dès son enfance au racisme (Balzac parle de lui comme du « nègre Dumas »), il sait toucher ceux qui l’attaquent sur ce terrain : lorsqu’un convive lui dit : « Vous devez bien les connaître, vous, les nègres! », Alexandre Dumas lui répond : « Parfaitement. Mon père était un mulâtre. Mon grand-père était un nègre. Et mon arrière-grand-père était un singe. Vous voyez, monsieur, ma famille commence là où la vôtre finit! »

“Alexandre Dumas était quelque part, il y avait pour ainsi dire des vibrations supplémentaires auxquelles nul n’échappait ; sa puissance expansive était telle qu’elle pénétrait les plus éteints.”

Maxime Du Camp, Souvenirs littéraires de Bernard Dimay

J’ai trois amis très chers, et dont la qualité n’est plus depuis longtemps discutée par personne. Depuis bientôt trente ans, on ne s’est pas quittés. Ils n’ont pas la radio, n’ont pas le téléphone, mais j’ai de leurs nouvelles à peu près tous les jours. Ils aiment raconter des histoires, et des bonnes. Ils viennent me distraire un peu, chacun leur tour.

On m’a dit qu’ Honoré me ressemblait un peu. En un mot que j’avais la gueule balzacienne. J’ai quelque fois rêvé que j’étais son neveu, et la chère Eugénie, ma cousine germaine. J’ai souhaité bien souvent les connaître un peu mieux. Apprendre d’eux comment on devient admirable. Déchiffrer peu à peu des secrets dans leurs yeux, un soir, où par hasard, je serais à leurs tables

Ce que j’aurais aimé, c’est aller chez Victor, Place des Vosges au coin, je connais bien l’addresse. Lui dire: Il fait soleil, viens faire un tour dehors. Jean Valjean peut attendre, après tout, rien ne presse. Nous aurions tous les deux arpenté pas à pas le boulevard Beaumarchais, en songeant qu’Alexandre préparait pour ce soir un superbe repas, et que ces choses là sont toujours bonnes à prendre.

Pour me venger un peu de l’époque où je vis, j’ai pour meilleurs amis, ces trois grands mousquetaires. Il est assez mal vu, de nos jours par ici, d’avoir pour compagnons des gens qui sont sous terre. Si le monde a raison, c’est bien doux d’avoir tort. Et je sais, croyez-moi, ce qu’on appelle un homme.

Quand parmi les vivants, je n’aurai plus personne, il me reste Honoré, Alexandre, et Victor.

One Response to “Manger la vie…”

  1. Tami Oliverio says:

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