Cruelle coquetterie

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 clip_image004Pieds de Lotus d’Or!

Image délicate et délicieuse,

vision exquise et érotique

Quand le pied devient fleur…

Mes pieds ne sont pas des fleurs de lotus, ne sont pas des lys, pas des roses. Mes pieds ne sont pas des bijoux.  Tous ceux qui m’aiment vous le diront: je suis une pieds-poudrés, une marcheuse invétérée; et marcher pieds nus est pour moi un véritable plaisir. J’aime goûter à la richesse des sensations qu’il y a sous mes pieds: chez moi sur le carrelage, l’été, dans l’herbe fraiche, le sable, l’ensoleillement et le vent. J’ai la tête dans les nuages et les pieds sur terre. Cette habitude et ce plaisir m’ont fait des pieds forts et larges et solides qui me permettent de marcher, de courir, de sauter, de danser…Mes pieds ne sont pas des fleurs fragiles mais symboles de ma liberté. J’arrive avec peine à m’imaginer la vie d’une femme qui ne pourrait en jouir pleinement et qui allierait à la perte de liberté, la souffrance, dans la recherche  d’une certaine beauté.

Michèle V. Marcelin

Les pieds bandés des chinoises.

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Selon les historiens, cette coutume remonte au dixième siècle. A l’époque de la Chine impériale, le bandage des pieds était signe de distinction et de raffinement. Limitée d’abord aux dames de la cour et de l’aristocratie, elle s’étendit progressivement à la bourgeoisie, puis à toutes les couches de la société. Les élégantes chinoises cherchait  à se “démarquer du grossier envahisseur mongol et de ses femmes aux grands pieds”.

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L’origine de cette pratique était attribuée à la passion du prince Li Yu, qui régnait au dixième siècle, pour sa favorite la concubine Chose Précieuse, et notamment pour ses pieds, qu’elle avait fort petits.

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Elle dansait sur la pointe de ses chaussons, sur un piédestal en or et pierres précieuses, en forme de fleur de lotus. Les autres concubines, délaissées et jalouses, tentèrent de l’imiter en bandant leurs pieds pour les faire paraître plus petits. Le pied ainsi remodelé, objet de poésie, fut appelé Lotus d’or.

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Dans la culture bouddhiste, le lotus émerge d’une eau souillée mais reste pur. Il est symbole de sérénité et de noblesse. Le petit pied ou  pied mignon faisait donc l’objet d’une vénération et était d’emblée, l’atout à posséder pour plaire à l’homme de rang élevé ! On peut également y voir un moyen de restreindre la liberté des femmes car, devenues adultes, leur démarche ne pouvait être que lente et difficile.

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« Le pied mutilé possédait une cavité que l’on disait exquise à la vue et au toucher et d’un parfum délicieux, et multiples jeux érotiques furent inventés, où cet étrange pied creux et son gros orteil jouaient un rôle majeur »

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Le bandage des pieds commençait vers l’âge de quatre ou cinq ans. Cette mutilation lente était fort douloureuse. La mère tirait les quatre petits orteils sous le pied, vers le talon, le gros orteil étant laissé libre. La marche forcée sur le pied enveloppé dans des bandages de plus en plus serrés cassait les os des orteils. Dans un deuxième temps, le pied était cassé transversalement sur un cylindre de cuivre, afin d’en faire se rejoindre l’avant et l’arrière, à l’exception du gros orteil, et d’accentuer la courbure de la voûte plantaire. Le but recherché était d’obtenir un pied aussi petit que possible, mais aussi d’une forme très particulière : un gros orteil proéminent et une voûte plantaire en forme de cavité arrondie.

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Chaque jour, après le bain, le pied était bandé plus étroitement et emprisonné dans une chaussure d’une pointure de moins que la précédente. L’objectif était de produire le lotus d’or, (pied ne dépassant pas 7,5 cm – à 10 cm c’est un lotus d’argent). Les seuls instants où une jeune fille avait les pieds découvert étaient le bain ou, plus tard, le moment où son mari déroulait les bandages lors des préludes amoureux.

Son aspect monstrueux n’empêchait pas le pied de lotus d’être considéré comme la partie la plus érotique du corps féminin, et les délicats chaussons qui le couvraient étaient, par association, source de délices. Les époux chinois adoraient les minuscules souliers de lotus de leurs épouses et les exhibaient parfois avec fierté sur de petits plateaux. Les femmes possédaient plusieurs centaines de paires de ces chaussures et elles passaient des heures à les broder de symboles de fertilité, de longévité, d’harmonie et d’union.

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Sur les souliers portés le soir du mariage, figuraient souvent des scènes érotiques explicites, destinées à instruire la jeune mariée. Le prélude amoureux classique consistait pour le mari à déchausser doucement son épouse, puis à lui démailloter les pieds. Les bandes de coton ou de soie de 3 mètres de long pouvaient servir à attacher la jeune femme dans des pratiques de soumission.

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Femmes aux pieds bandés était devenu le surnom des femmes chinoises. Ces pieds de Lotus leur donnaient une démarche d’hirondelle volante qui a été chantée par les poètes chinois, mais les dommages de ce rituel vieux de mille ans étaient irréversibles. Outre les souffrances infligées par cette torture lente s’étalant sur toute la durée de la croissance ; outre l’infirmité à vie due à ces pieds qui ne permettaient qu’une démarche hasardeuse, à petits pas, sautillante, limitant les déplacements et confinant ces femmes à la maison, les pieds ainsi mutilés exposaient celles-ci aux ankyloses, infections, atrophies musculaires et paralysies… Elle provoquait également la formation d’un pied bot avec retournement et incrustation des orteils dans la plante du pied. Les pieds bandés se raréfièrent quand la Chine devint une république en 1912, et avaient à peu près disparus lorsque Mao en prononça l’interdiction en 1949.

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Ces ravissantes petites pantoufles furent l’objet de fréquentes pratiques fétichistes. A la fin du 19ème siècle, un diplomate chinois fut envoyé à la cour de Russie. Comme le protocole lui interdisait d’emmener avec lui aucune de ses épouses aux pieds en fleur de lotus, il se contenta d’emporter dans ses bagages une vaste collection de petites pantoufles brodées appartenant à celles-ci. Il rapporta par la suite qu’il s’était ainsi parfaitement contenté sexuellement pendant toute la durée de son séjour.

clip_image019Ces chaussons brodés étaient aussi largement utilisés dans les parties de plaisir, particulièrement parmi les  confréries de buveurs de la petite chaussure, où rien ne semblait plus délectable que de boire de l’alcool de riz dans une petite tasse placée à l’intérieur d’un chausson brodé. Il faut noter que celles de couleur rouge etaient plus particulièrement portées par les courtisanes.

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Sources:
Mutilations corporelles infligées aux femmes : étude victimologique : Ellenberger

Cruelle coquetterie ou les artifices de la contrainte: Michel Biehn

Le Mague:Suzanne Weber

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Extrait d’un article de Suzanne Weber:

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fleur de lotus non eclose

Dans cette barbarie millénaire, perpétrée par une des civilisations les plus raffinées de l’histoire de l’humanité : celle de la Chine impériale, se retrouvent tous les ingrédients d’une société patriarcale traditionnelle pure et dure. Dans ce type de sociétés, la femme, être relatif, n’existe pas en tant qu’individu autonome. La femme, réduite à son sexe, est aliénée. Qu’elle soit placée sur un piédestal somptueux, comme la concubine Chose Précieuse, ou qu’elle soit maltraitée, elle est niée en tant que personne humaine.Elle n’a pas de statut propre. Elle est destinée au marché matrimonial, où se jouera son destin de compagne et de reproductrice, soit son statut social : celui de son mari. Si ce marché est règlementé, son époux est désigné dès sa naissance par un système plus ou moins complexe de parenté et de lignage. S’il fonctionne sur le mode libéral, selon la loi de l’offre et de la demande, soit, de la concurrence, la femme doit, pour se vendre avantageusement – seul idéal que lui propose la société – satisfaire à certaines normes, variables d’une culture à l’autre, mais toujours impératives. Son degré de conformité à ces normes déterminera sa valeur marchande, soit ses chances d’être choisie par un homme de rang élevé. Celui-ci l’arborera comme un emblème de sa puissance, un trophée, un signe extérieur de richesse et de pouvoir…
Les normes ainsi dictées aux femmes par les sociétés patriarcales traditionnelles, les atouts à cultiver pour se valoriser, vont des plus banals – qualités esthétiques, domestiques, mondaines – en passant par la virginité, certificat d’exclusivité de l’acquéreur, jusqu’aux déformations les plus sophistiquées et les plus aberrantes du corps : excision, infibulation, repassage des seins (Cameroun), élongation du cou (femmes-girafes en Thaïlande), etc. Un véritable florilège d’atrocités. La Mauritanienne de jadis, gavée au lait de chamelle, voyait sa cote grimper avec son poids ! Celle de la Chinoise était fonction décroissante de la taille de ses pieds.

Les descriptions du contexte dans lequel avait lieu le bandage des pieds attestent toutes de cette dimension marchande. La réussite sociale d’un homme se marquait par le nombre de femmes aux pieds bandés, épouses et concubines, qui peuplaient sa maison. « Un marieur cherchant un époux (pour une jeune fille) présentait à la mère du jeune homme, non pas un portrait de la jeune fille, mais une de ses paires de pantoufles. Plus le chausson était petit et plus la prétendante avait de chance de séduire, la belle-mère pouvant ainsi juger tout à la fois de son aptitude à souffrir et de ses talents de brodeuse, deux qualités indispensables à une future épouse » « Les filles aux grands pieds, en plus des difficultés à trouver un mari, subissaient la moquerie de tous » « Les Chinois sont persuadés que de cette atrophie dépend le prestige de la famille. À leurs yeux, une jeune fille qui n’a pas de petits pieds ne pourra jamais trouver un mari qui fasse honneur à sa famille »
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Ce sont des femmes, mères ou grand-mères, qui bandaient les pieds des filles, tout comme les exciseuses sont des femmes. « Lorsque le père s’y opposait, on attendait qu’il soit parti en voyage » . N’oublions pas que les femmes sont aussi les gardiennes de la tradition ! Or, dans les sociétés traditionnelles, chacun doit occuper strictement la place qui lui est assignée. Il y va de la cohésion du groupe ; l’intégration dans le groupe est la condition de survie de l’individu. Dans la société qui nous intéresse, bander les pieds de sa fille était la seule façon de lui offrir un avenir. Eventuellement une chance d’accéder à un statut supérieur à celui de sa famille d’origine ; au minimum, un moyen de subsistance. Car les laissées pour compte du marché matrimonial étaient des déchets sociaux.

Dans les sociétés traditionnelles, l’individu est conditionné à remplir son rôle préétabli avec un parfait conformisme, le but étant de perpétuer des structures sociales immuables. Or l’éducation de base des enfants, début de leur socialisation, est entre les mains des femmes. En bandant les pieds de leurs filles, les mères leur transmettaient également le sens que cette pratique revêtait dans la société. De sorte que la seule possibilité de structuration accessible à la petite fille passait par l’identification à l’unique modèle féminin valorisant, la femme aux petits pieds. Structuration qui garantissait la pérennité du système : une fois mère, elle banderait à son tour les pieds de ses filles.

Le lotus puise sa substance vitale dans la boue pour s’épanouir, la fleur s’élevant au dessus de la surface de l’eau. “La boue” représente les souffrances, les troubles, les désirs, qui sont le terreau même de notre épanouissement. Il est donc possible de transformer son destin par l’illumination. La symbolique du lotus relève encore du fait que la graine et la fleur apparaissent ensemble, prouvant la simultanéité de la cause (la graine) et de l’effet (la fleur) dans la loi de causalité de l’univers.

One Response to “Cruelle coquetterie”

  1. Anonymous says:

    Ce texte est très bien conçu. Toutes les informations importantes concernant cette pratique ancestrale s’y trouvent logiquement à sa place. C’est très intéressant. Merci beaucoup.

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